Ivann Cruz joue en solo en choisissant l’improvisation comme point de départ à ses performances. Dans ses improvisations, il prend plaisir à mixer librement des langages variés (jazz, rock, noise, minimalisme, musiques électroniques, pop...) tout en privilégiant un travail sur le timbre et l’espace sonore.
Il cherche à développer des jeux de perspectives entre des gestes instrumentaux plus ou moins contrôlés tout en gardant la maîtrise d’une construction formelle avec un goût assumé pour la rupture. Pour cela, il développe à la guitare électrique une technique de jeu, où les pieds manipulant un dispositif de pédales d’effets deviennent indissociables des mains et lui permettent d’agir en temps réel sur la matière sonore.
Des pieds et des mains
En août 2021 dans le cadre d’une tournée pédestre, Ivann Cruz propose "Des pieds et des mains", une improvisation musicale à la guitare électrique inspirée de son expérience sensible de randonnée de la journée : les tensions de l’effort physique, le vide et les reliefs, les textures des sols, la flore, les couleurs des panoramas, les silences et les rumeurs, et le lieu du refuge.
Ces improvisations ont lieu à proximité ou dans les refuges d’étape sur un dispositif amplifié autonome (ampli et pédales d’effets) en fin de journée. En réalisant les étapes entre chaque refuge en portant son matériel sur les sentiers, accompagné d’un guide, Ivann Cruz souhaite inventer in situ des formes musicales inspirées des espaces traversés. Il partage ainsi l’expérience du randonneur et va à sa rencontre dans des lieux inattendus pour lui offrir des impromptus musicaux.
Pour ces dates d’août 2021, Muzzix bénéficie de l’aide du plan de relance et de sauvegarde à l’emploi artistique du Ministère de la Culture..
Sur scène
« Il s’agit d’être attentif lorsqu’on pénètre dans les Lignes de Fuite d’Ivann Cruz, concentré comme il se doit dans n’importe quel univers dominé par les signes, si contradictoires soient-ils, aussi sibyllin que soit le message. L’orée dense que constitue « L’obscur aliment des signes » multiplie les écholalies inquiétantes qui paraissent danser sur les flammes de leur propre autodafé. Le guitariste qui remplace numériquement Olivier Benoit dans le Circum Grand Orchestra et anime TOC nous plonge dans un solo déconstruit où son instrument semble parfois asservi au pouvoir des sons et à la force des mots, même altérés (« Quantophrénie »).
Lignes de Fuite est une performance soliste. Comment définir autrement un exercice si intime ? Mais c’est un solo augmenté, puisque le batteur Peter Orins rejoint son compagnon de TOC sur deux morceaux et que les électroacousticiens Olivier Lautem et Loïc Reboursière se chargent des chapelets de voix intérieures qui font songer à des bouffées schizophrènes. Le travail de façonnage d’un son à la tension palpable, tel « Etat d’Urgence », est pernicieux et obsessionnel. Cela n’empêche pas le guitariste d’y trouver une sorte d’exutoire cruel et émouvant, à l’image de toutes les mises à nu.
Au jeu des comparaisons, on pourrait dire que Lignes de Fuite est le Serendipity de Cruz. Certes, rapprocher, c’est enfermer. Ce n’est pas le résultat qui compte ; il est nécessairement très différent. La démarche est néanmoins la même, radicale et pesée avec beaucoup de minutie. Pour les deux membres successifs du collectif Muzzix, il convient d’aider la guitare à sortir de sa psyché jazz/blues/rock pour en faire une ressource abstraite, sensible et largement vivante. On retrouvera également ce paradigme dans l’Empty Orchestra de Peter Orins. Benoit actait la transformation par des convulsions nerveuses entrecoupées de rares instants ataraxiques ; Cruz est plus avare de gestes, cherche davantage l’espace et la disparition progressive du son coutumier des cordes. Une aphasie de timbres, qui met en perspective un propos aride et singulier. »
Franpi Barriaux, Citizen Jazz // Publié le 3 septembre 2017