Sylvaine Hélary — flutes, voix
Fred Lonberg-Holm — violoncelle, électronique
Eve Risser — piano
Mike Reed — batterie
Quatre musiciens, quatre vifs du sujet et leurs sources d’équilibre ou de déséquilibre : les filaments de la flûte, les infiltrations du piano, les laminages du violoncelle, les tintements de la batterie. Des démesures sont prises. Les charmes opèrent.
Flambant neuf. Flambant, surtout. Car cette sorte de « nouveauté » que se proposent de mettre à l’œuvre et à l’essai Sylvaine Hélary, Ève Risser, Fred Lonberg-Holm et MikeReed, pour la première fois ensemble, savoure aussi l’érosion, l’action du temps, du soleil, de la pluie, du vent et de la vie intérieure sur la musique, tout ce qui la travaille ou la ronge. Nouveauté peut-être, qu’à cela ne tienne, puisque que l’on pourrait présenter ces quatre musiciens par tous les genres qu’ils sont en mesure d’aborder, et de déborder. Parce qu’ils ont joué, en vrac, sur les scènes françaises ou américaines, et pour réduire injustement leurs biographies à quelques sésames ou faits marquants, avec le convulsif Joe McPhee, avec le gargantuesque Surnatural Orchestra, avec le sidérant Roscoe Mitchell, avec l’énigmatique trio En Corps (en compagnie de Benjamin Duboc et d’Edward Perraud). Le ramage et le plumage des genres, du jazz d’aujourd’hui à la chanson de demain, en passant par la noiseet la musique improvisée – comme si l’improvisation, plutôt qu’un genre, n’était pas précisément le grand véhicule, celui qui permet de vaquer d’un univers l’autre, en toute liberté, en toute conscience et inconscience. Nouveauté encore que cette instrumentation – une flûte, un piano, un violoncelle et une batterie – qui inciterait presque à céder à la facilité en promettant une musique de chambre. Or si cette association de timbres présage du moindre feutre, il ne faudrait pas oublier que leurs outilleurs sont gens suffisamment timbrés pour goûter tous les changements de rôles, pour avoir envie d’envisager le dessous des cartes.
Hélary, Risser, Lonberg-Holm et Reed savent tous comment s’y prendre pour que le chatoyant empiète sur l’inextricable, le spasme sur le dépouillement. Gracieusement et excessivement. Sylvaine et Ève rêvaient de jouer ensemble° ; Ève s’est produite dans le Lightbox Orchestra de Fred à Hagenfesten, en Suède, il y a quelques années° ; Fred et Mike ont récemment collaboré dans un quartette avec le guitariste de Tortoise, Jeff Parker, et le batteur de Wilco, Glenn Kotche. Les jonctions pour vouloir et pouvoir emprunter The Bridgeétant en place, révélons que la flûte de l’une est en robe de soirée sanguine, c’est le diable diaphane en personne. Que le piano de l’une est nuageux, ou épineux, arqué sur ses pattes ou sur sa pointe de toupie. Que le violoncelle de l’un, plutôt cactus ou squelette, est un dépôt d’explosifs, qui explosera, qui n’explosera pas, mais passé maître en torpillage. Que la batterie de l’un est en temps libre, aussi sobre que constructive, idéale pour courber et recourber les rythmes et les rendre à leur volatilité. C’est à l’intersection, au carrousel de cescaractères-là, sur cet étrange manège de fête foraine, que se trouvera une musique, à découvrir, pour elles, pour eux et pour nous, moyennant les quelques plans que les quatre improvisateurs ont ourdis plutôt que des compositions strictement écrites. Henri Michaux, dans « Dessiner l’écoulement du temps », avait déjà décrit leur méthode° : « Une ligne ou deux ou trois, faisant par-ci par-là rencontre de quelques autres, faisant buisson ici, enlacement là, plus loin livrant bataille, se roulant en pelote. » Il faut donc s’attendre à des bancs de brouillard. S’attendre à des bals masqués. S’attendre à tout, pour le plus grand bonheur de celles et ceux qui savent s’aventurer.
photo : Rémi Angeli